17. Archiv System
Archiv System, c'est la boîte où je bosse, pour une mission d'intérim. L'archivage, tu le sais pas, mais c'est une niche économique impérissable. Je te cite le speech des commerciaux : "L'histoire de tout organisme réside sans conteste dans ses archives. Véritable mémoire de l’entreprise, l’archivage est une démarche essentielle, d’autant plus que la conservation d’un certain nombre de données et de documents est une obligation légale. L’archivage requiert une vraie organisation et une vraie méthodologie, avec des ressources qualifiées." Ça t'a plu ? Ben, faut bien gagner sa croûte, non ? Et ces malins, ils ont de tellement bons commerciaux - et certainement des prix qui vont avec - qu'ils te récupèrent des marchés qui avant étaient ceux d'autres entreprises. Parce que oui, il y du monde dans l'archivage.
Quoiqu'il en soit, tu t'en fous pas mal, ce qui est bien normal. Mais c'est là que je bosse, et où je me suis senti nul, écrasé sous les cartons, un peu de retour à zéro, avec un énième job de merde. Mais, oui, faut manger. Mais t'es avec des mecs, y en a est des mecs, si tu vois ce que je veux dire. Toi tu peines à soulever ton carton rempli de paperasse, et la paperasse ça pèse. Et y a des centaines de cartons qui arrivent, qu'on descend du semi, et t'as le boss, en bas, dans son "clark", ou son "fen", qu'es assis, hein, et qu'envoie les palettes vite vite, et qui crie parce que au-dessus, on les vide pas assez vite à son goût. Il est pas méchant, le gars, mais tu vois bien que y a des trucs qu'il capte pas de suite, quant à des questions de masse musculaire et d'épuisement. Après ça faut étiqueter les cartons (les "conteneurs", on dit, ça fait plus pro, de suite) pour qu'ils aient des codes barres, et tu dois faire de la "loca" et du "douchage", c'est-à-dire biper les cartons pour les enregistrer. Dans le speed et l'urgence (ce qui doit correspondre au prix du contrat et donc à la récupération du marché) c'est pas toujours fait bien comme il faut. Comme en plus t'as une équipe d'intérimaires, payés le smig, que tu fais courir, et à qui tu expliques les choses avec des mots que tu comprends bien, toi, sans te demander si c'est clair, et si ça porte pas à confusion, ben c'est souvent bordel.
Aujourd'hui, j'ai pas grand chose à dire de plus, si ce n'est que j'ai mal aux muscles, et que c'est clair que je ferai pas de vieux os dans ce job idiot de plus. Peut-être la prochaine fois je te parle des gars qui bossent là et de tous ces gens dans ces boulots merdiques, et de l'expression certes galvaudée et désormais fashion de "Vie de merde" que j'entends un peu trop, à chaque fois que je mets les pieds dans une de ces entreprises qui marche avec des ouvriers et/ou des manuts à tout va. Ouais, je te le dis, les gens, des fois, ben c'est pas rigolo comme tout ça les écrase. On en reparle, d'accord ?