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Aphasie Sophistiquée
29 mars 2011

10. Archives sporadiques (II)

Alexander se retrouva dans cette très longue rue, et il aurait dû continuer son porte à porte. La très longue rue était pleine de boutiques. « Faut qu’j’achète quelque chose ! » La main à sa poche, y compter les pièces qui lui restaient. Ouais. Clopin clopan, il luttait sous la chaleur pour rassasier son besoin animal. Il secouait dans sa main ses quelques pièces et il faudrait faire avec. Toute sa carcasse chaude et moite se faufilait lourdement entre les passants. Il entra dans une boutique, une autre, et puis encore ; chaque endroit l’étouffait, mais quand même les yeux pâteux qui cherchaient désespérément dans les recoins, une pépite, un petit trésor discount qui le remplirait, ferait de lui un être entier et pas celui dont personne ne voulait qui se traînait un book et un CV merdique d’incompétent. Oui, quelqu'un d’entier. C’était pour ça qu’il avait quitté sa ville ! il pleurait de tout ce qu’il y avait laissé. Avait cru se libérer de tous ces objets ; ils étaient derrière lui comme des fantômes. Pourquoi avoir abandonné ce compact disc des Avalanches ? Pourquoi avoir pourtant emporté tous ces XMP7 qui prenaient si peu de place ? Pourquoi avoir gardé l’inaudible album des Boredoms ? Mais s’il avait retrouvé les Avalanches, ça ne lui aurait pas été. Il fallait du neuf, comme un beau gros livre d’images d’art contemporain, lumineux et coloré, un livre qui comblerait et étonnerait sans cesse et rendrait heureux. Rien ne convenait à son appétit. Trop à explorer à en dégobiller. Plus il avançait, plus il s’enfonçait dans la ville, plus il fatiguait, plus il sentait l’inexorable ennui, le poids de son corps qu’il traînait et à quel point il s’éloignait de son point de départ ; quand il faudrait qu’il retourne au bus, vide de tout espoir, toujours ses pièces en main… Il avait soif et faim. Mais en ville, tout était si cher, alors qu’il y avait tout à la maison, en pas cher. Cet argent diguelingant était pour du bonheur durable. Pourquoi pas un fabuleux petit roman bien écrit qui décalque l’esprit, construit avec habileté et qui fait l’impression d’être intelligent ? Et tous ceux qu’il n’avait pas lu … Que dirait Nelany s’il ramenait encore ce livre pour l’empiler sur ceux qui s’empilaient déjà, prenaient de la place qu’il n’y avait plus ? Mais, il ne coûtait rien, aurait-il dit. Et elle, haussant les épaules : « Si ça te fait plaisir… » C’était là le pire, quel plaisir ? Il en doutait alors devant l’étal du bouquiniste, un vieil homme d’une autre époque qui disait : « — Je peux vous renseigner ? — Non, je regarde juste. » Alors il fit demi-tour, et pour ne pas affronter la foule, il prit les petites rues sans charme et faillit se perdre. À l’arrêt, enfin, après une marche qui lui sembla une vie entière, il s’endormait sur le banc de l’abribus et rien ne le tenait plus qu’une nécessité absurde de ne pas mourir, peut-être par décence. Puis le bus arriva, il monta, se laissant porter sans voir passer le voyage, et rentrer, automate, au motel, allumer le poste de télévision, s’asseoir avec un soda et des biscuits secs. Toujours continuer à engouffrer tout ce que possible, laisser ses yeux se perdre.

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